Note aux biologistes

A ce stade initial de son développement, ce site (et les trois livres présentés) examine très préférentiellement le sujet de la définiton de la vie. Le problème de l'articulation psycho-somatique sera traité plus précisément dans un prochainouvrage (La Dimension Subjective).

Le sujet de la vie est abordé ici par le biais de la biologie moléculaire et cellulaire. Il s'adresse donc en priorité aux biologistes . La cellule procaryote est la "matière première" de ma réflexion parce que ce n'est qu'à ce niveau élémentaire de la vie qu'on peut espérer mettre un jour le doigt sur "ce" qu'est la vie puisque cette vie émerge, dans la hiérarchie des systèmes naturels, quelque part entre les niveaux d'organisation macromoléculaire et cellulaire.

Ma passion pour le phénomène de la vie a été la raison de mon entrée à l'université par la porte de la faculté de biologie. Si après un an et demi j'ai bifurqué vers la médecine c'est uniquement parce que j'y voyais l'occasion d'étudier la vie pendant sept ans au lieu de quatre ou cinq. C'est toujoursla même soif de comprendre la vie qui m'a poussé à prolonger mes études de médecine par cinq années de spécialisation.

Ces études m'ont passionné mais plus j'avançais dans la connaissance plus il me paraissait évident que l'objet principal de mon intérêt, la nature de la vie, n'était jamais abordé de façon explicite. A cette déception vis à vis du discours académique de la biologie s'est ajoutée celle vis à vis du discours de la médecine. Après douze ans de formation, il m'était devenu évident que personne n'avait de réponse aux questions naïves et néanmoins fondamentales en médecine comme "qu'est-ce que la santé ?" et "comment interagissent le corps et l'esprit?" L'aveu de son ignorance étant toujours pénible, une sorte de consensus tacite s'était établi dans le milieu académique sur l'inopportunité - voire l'indécence - qu'il y avait à évoquer ces questions délicates.

J'ai donc pris clairement conscience qu'il manquait une "pièce" fondamentale dans le discours académique, et ce autant en biologie qu'en médecine. Deux évidences premières - la différence de comportement entre systèmes physiques et systèmes vivants et l'inextricable interaction du psychisme et du corps - étaient tout simplement mises sous le tapis .

Je me suis donc attelé au projet - très présomptueux je le reconnais - de résoudre ces deux énigmes.

Je me suis d'abord intéressé au problème de l'articulation psycho-somatique en partant d'un cas clinique vécu personnellement. Il s'agissait d'un diabète juvénile (maladie incontestablement organique) apparu peu après un choc émotionnel majeur (traumatisme purement psychique).

Pour tenter de le comprendre, j'ai d'abord adopté une approche classique. C'est à dire que j'ai essayé de comprendre comment, dans le dédale des relations physiologiques, le cerveau (supposé être le siège du psychisme) pouvait agir sur les cellules bêta du pancréas (les victimes cellulaires de la maladie). Il m'est clairement apparu après quelques temps qu'un élément majeur échappait - et vraisemblablement échapperait toujours - à ce genre d'explication. Aucune physiologie ou neurophysiologie n'explique en effet comment un événement environnemental objectivement dénué de tout pouvoir traumatisant "prenait sens" chez un sujet précis et devenait un traumatisme physique autant que psychique.

C'est le mot "stress" qui est généralement utilisé par le corps médical pour "expliquer" tous ces phénomènes psycho-somatiques. Mais le succès de ce concept repose en fait sur son ambiguité épistémologique. Pour le physiologiste en effet, le stress correspond à une secrétion très objective d'hormones tandis que pour le psychologue il signifie un vécu purement subjectif, un "traumatisme psychique". Mais personne n'explique aujourd'hui - dans le cadre du paradigme mécaniciste dominant en biologie - comment un vécu purement subjectif peut provoquer cette secrétion très objective d'hormones ni comment ces hormones naturelles et endogènes destinées à la sauvegarde du corps peuvent devenir ses ennemis. Les hormones du stress semblent ici "prendre un sens" particulier pour les cellules imunitaires et les cellules bêta du pancrés qui conduit à la maladie.

La nature de cette "prise de sens" me semblait donc au coeur du problème. Et ce sujet est manifestement bien plus de nature épistémologique que scientifique. Notre incapacité à comprendre n'est pas liée à une connaissance  insuffisante de la physiologie mais à la méthodologie même de la physiologie. Il est assez facile de comprendre que si nous utilisons comme modèle évident (paradigme) la machine artificielle, le psychisme et le vécu subjectif ne pourront jamais trouver place en tant que cause du dysfonctionnement de notre organisme.

Je me suis donc mis à réétudier la biologie moléculaire et cellualire mais avec cette fois un tout autre regard que pendant mes études, avec le regard du médecin journellement confronté à la schizophrénie de notre médecine scientifique déchirée entre une médecine du corps d'un côté et une médecine de la psyché de l'autre sans aucun pont conceptuel solide pour les relier.

J'ai progressivement acquis, au cours des années, la conviction que le problème de l'articulation psycho-somatique était intimement liés à celui de la vie et était lié à ce qu'on nomme très justement le réductionnisme du paradigme mécaniciste. L'idée générale qui s'est progressivement dégagée est que ce qui nous empêche de voir la spécificité de la vie et l'unité psychosomatique est précisément liée au fait que nous voyons a priori les organismes vivants comme des objet, c'est à dire des systèmes dénués de toute "profondeur" psychique.

J'ai donc exploré ce que la littérature savante comprenait du comportement des cellules élémentaires, de l'organisation de leur métabolisme et du fonctionnement des biomolécules tout en gardant parallèlement mon attention très éveillée à la forme et aux a priori du discours que nous utilisons pour les décrire. J'ai alors relevé un nombre élevé d'incohérences, d'ambiguités et de paradoxes épistémologiques dans le discours classique. Il m'est devenu évident qu'il fallait changer le regard que nous portons sur l'objet vivant en modifiant le "cadre" général du discours que nous utilisons pour nous re-présenter son comportement. C'est à dire qu'il fallait "changer de paradigme". Ce projet est depuis quelques décennies souvent évoqué par les scientifiques les plus renommés mais personne jusqu'ici, à ma connaissance, n'en a proposé un qui soit suffisamment radical, universel et structuré pour prendre la place du précédent.

C'est le résultat de ces investigation à la frontière de la philosophie et de la biologie fondamentale et la formalisation d'un nouveau paradigme que je développe dans mes livres. Je ne suis ni philosophe ni biologiste mais c'est bien le médecin - ma seule vraie spécialité - qui a forgé ce nouvel outil théorique puisque le "modèle évident" que je propose en lieu et place de la machine (paradigme mécaniciste), c'est l'organisme humain (paradigme organiciste), la matière première de mon métier.

Ce système naturel hypercomplexe présente de façon incontestable (hormis pour des esprits vraiment bornés) une facette "du genre objet", celle qui est accessible au regard objectivant de la science et analysée par le médecin du corps-objet et une facette "du genre sujet" qui est l'affaire des médecins de l'âme. Mais l'âme (ou la psyché, ou l'esprit) est une chose immatérielle qui n'a aucune place dans le paradigme que le médecin du corps utilise et qu'il a emprunté aux physiciens, les spécialistes de la matière sans vie. Le médecin de l'âme possède ses propres paradigmes et techniques qui lui permettent d'aborder "de l'intérieur" le patient-sujet. Mais comment convaincre le médecin du corps que le vécu subjectif intérieur peut être une cause  de maladie aussi valideque les microbes ou les toxiques quand, par sa formation, il ne reconnaît aucune réalité au monde "intérieur" du sujet. Son irréalité repose sur le seul argument de sa non-objectivité. Etant non localisable, il est en quelque sorte irréel.

Seul les succès technologiques énormes de la pensée mécaniciste permettent à certains d'oser ce genre de conclusion arrogante. Outre qu'elle défie notre bon sens commun, elle serait certes invalidée par Descartes lui-même. Le père de la pensée mécaniciste reconnaissait explicitement l'existence, à côté de la res extensa (la réalité objective) d'une res cogitans gérée par l'âme, organe que personne n'a jamais pu localiser.

En fait, l'âme, l'esprit et le sujet n'ont aucune place dans la représentation mécaniciste que nous nous faisons du corps. C'est par a priori méthodologique et pour tenter d'être aussi scientifiques que les grands frères physiciens que les sciences de la vie, après avoir discrédité les thèses vitalistes (les défenseur de l'âme - énergie vitale) ont adopté ce paradigme très réducteur. Le problème est que le sujet n'est jamais absent du monde, en particulier du monde des machines puisque pour qu'une machine existe il faut bien qu'un être sensé et finalisé la conçoive et la fabrique. Le sujet est donc bien une pièce indispensable de la réalité mais elle est située dans un "espace" étranger à celui des machines.

Je suis donc parti à la recherche du "lieu" et de l' "espace"où se situe cet élément " du genre sujet". Tout ce que j'en devinais c'était que sa place devait être "centrale" puisque toutes les pièces de la machine semblaient soumises à son "autorité". Ce n'est finalement qu'en posant l'hypothèse d'une dimension supplémentaire, inconnue de la physique, une dimension que je qualifie de subjective (par opposition aux trois dimensions objectives de l'espace) qu'il m'a paru possible d'intégrer cet élément "du genre sujet" au sein de la cellule-objet. Tout dès lors a commencé à devenir plus simple. En faisant confiance à mon intuition que ce "centre" de la cellule avait quelque chose à voir avec ce que Prigogine appelle un centre attracteur (d'un cycle limite), je suis arrivé à créer un modèle géométrique (hypersphérique) applicable à tous les système dynamiques quel que soit le nombre de leurs paramètres tout en conservant un centre "attracteur" unique. J'avais donc ainsi un modèle non-réductionniste pour ma cellule. Mais ma vraie suprise a été de découvrir que ce modèle était théoriquement applicable à tous les systèmes naturels (c'est à dire auto-organisés), physiques autant que biologiques. C'était donc bien une dimension constitutive de la réalité et pas seulement spécifique au monde bilogique dont j'avais posé l'hypothèse.

Il m'a fallu en tout près de quarante ans pour rassembler suffisamment d'éléments probants et oser faire le pas de la présentation de cette hypothèse. Aucune revue scientifique classique bien sur ne proposera un nombre de pages suffisant à un auteur inconnu pour exposer in extenso une telle révolution de notre cadre théorique.Seul un livre permet cet exercice.

Les biologistes devraient être les premiers concernés par mon travail parce qu'ils savent tous plus ou moins consciemment que quelque chose de fondamental leur échappe dans l'approche "réductionniste" de la vie. Ce que mon travail apporte, c'est précisément la mise en évidence de "ce" qui manque, la reconnaissance explicite de l'aspect précis de la réalité que ce paradigme nous empêche de voir, ce en quoi il l'ampute, comment il  "réduit" notre réalité.

Le combat entre partisans des théories vitalistes et mécanicistes ou chimiques de la vie a fait rage à la fin du XIXème siècle et la "victoire" des derniers fondée sur des calculs thermodynamiques démontrant l'inexistence d'une énergie vitale  n'a jamais fait baisser la garde aux défenseurs de la spécificité de la vie. La cybernétique a été une première tentative mais elle a échoué parce qu'elle s'était elle-même imposé un cadre strictement mécaniciste. C'est la biosémiotique et la cybersémiotique qui probablement représentent le mieux aujourd'hui cette frange de biologistes résistant au réductionnisme mécaniciste. Contrairement aux cybernéticiens, les biosémioticiens reconnaissent implicitement, comme je le fais, l'action d'un élément "du genre sujet" au coeur de tout système vivant. Ils assimilent en effet l'émergence de la vie à celle du sens-signification, concept central de la sémiologie et à mon sens inséparable du concept de sujet (la sémiologie est sous-discipline de la linguistique qui traite de de la communication dans le monde humain). Les biosémioticiens s'appuient donc, comme je le fais, sur un "modèle évident" (la société des hommes) infiniment plus complexe que la cellule (approche top-down) mais qui, comme toutes les sciences humaines ne trouve pas place dans le cadre étroit des sciences physiques.

Seule me semble t'il la reconnaissance d'une "dimension subjective" complétant les trois dimensions objectives de l'espace est susceptible de redécouvrir un langage commun aux sciences de la vie, aux sciences humaines et aux sciences physiques.