Note AUX physiciens

Les physiciens sont, après le biologistes, les scientifiques que je voudrais le plus interpeller par mon discours. La raison en est que c'est leur science qui est à l'origine de la pensée scientifique moderne et que c'est encore toujours elle qui reste, dans l'esprit de bien des scientifiques (et des biologistes en particulier), le modèle idéal de la démarche scientifique. De Galilée, Kepler et Newton jusqu'à Einstein, Dirac et Higgs, la science physique a prouvé, par son caractère hautement mathématique, qu'elle correspondait à une sorte de summum de l'abstraction et de la rigueur intellectuelle, c'est à dire qu'elle semble avoir atteint l'expression idéale de toute théorie, terme qui, rappelons-le, signifie étymologiquement "point de vue de Dieu", rien que ça...

A cette aura de la vision divine s'ajoute une prodigieuse fécondité technologique. Même si nous ne comprenons pas la physique quantique, nous devons reconnaître que c'est elle qui a permis de construire des lasers, des transistors et des circuits intégrés, c'est à dire que c'est cette théorie qui est à la base de la révolution informatique et du développement prodigieux de l'interconnexion de tous les habitants de la planète par l'internet.

Nous biologistes avons donc vis à vis des physiciens une sorte de complexe d'infériorité plus ou moins clairement assumé. Mais comme la plupart d'entre nous - et j'en fais partie - ne sont pas mathématiciens, ils doivent avouer leur impuissance à comprendre cette physique qui est non seulement "étrange" mais aussi, de l'aveu même des vôtres, incompréhensible. Pour le biologiste standard, la physique est donc une science ésotérique. Cela signifie qu'il doit renoncer à comprendre la nature réelle et profonde de la matière élémentaire (physique subatomique) et de l'Univers (cosmologie). Il doit ainsi renoncer à se faire une idée générale et cohérente du monde, renoncer à acquérir cette "vision divine" de la réalité à laquelle vos chercheurs les plus pointus prétendent.

Mais un véritable chercheur, qu'il soit biologiste ou physicien,ne peut accepter ce renoncement parce que cela touche au moteur même de son entreprise. La passion qui l'anime (hélas beaucoup la perdent en chemin) a quelque chose à voir avec une quête de la complétude, celle de ses théories bien évidemment mais aussi, et probablement plus profondément, la sienne propre. Les physiciens se savent explicitement en quête d'une "théorie du Tout" et, très heureusement pour leur orgueil, ils butent encore sur un problème de taille, celui de l'incompatibilité de la théorie quantique qui règle l'infiniment petit et de la théorie de la relativité qui règle l'infiniment grand.

Il m'a toujours semblé suspect dans cette quête physicienne d'une "théorie du tout" que ni la vie ni la conscience ne soient explicitement prises en compte. Ce sont là en effet les deux phénomènes naturels les plus "centraux" à l'univers tel que que nous le vivons. Ce sont les ingrédients fondamentaux de "notre" réalité.

Depuis le milieu du XXème Siècle, les sciences du vivant se sont développées de façon exponentielle et leur fécondité technologique n'a plus aujourd'hui rien à envier à celle de la physique. Mais sur le plan théorique, cette science nouvelle n'a pas encore trouvé un lien qui la relie de façon cohérente aux deux grands volets de la physique. Pourtant, les organismes vivants qu'elle étudie sont des systèmes qui se situent, dans l'échelle de la complexité naturelle, juste a mi-chemin entre les objets spécifiques de ces deux physiques inconciliables, l'atome et le cosmos.

Je pense profondément que la physique doit, si elle veut réaliser son idéal, retourner à ses origines grecques, c'est à dire redevenir une science de la Nature au sens  étymologique (phusis) et commun du terme,c'est à dire une science de la nature vivante et sauvage, une nature qui englobe le monde vivant et en particulier celui des êtres conscients que nous sommes. C'est celle qui constitue notre environnement premier, notre maison (oikos) et notre réalité quotidienne.

Ce n'est, je pense, que d'un dialogue de la physique avec les sciences de la vie et de l'homme que pourra émerger un jour une véritable nouvelle vision du monde, une véritable théorie du tout. Ma position vis à vis de la Science est aujourd'hui comme déchirée entre deux extrêmes. D'une part j'ai profondément apprécié et aimé tout ce que la Science m'a appris de la réalité matérielle tant la physique que la biologique et je suis admiratif face aux progrès prodigieux de la médecine dont j'ai été par métier un témoin privilégié durant quant ans. Mais derrière cette admiration se cache une assez profonde déception.

Moi qui suis rentré dans la vie universitaire par la porte de la biologie parce que je voulais consacrer ma vie à comprendre cette fascinante vie de la nature qui avait enchanté ma jeunesse, j'ai eu l'impression, puis au cous des années, j'ai acquis la conviction que le seul sujet qui m'intéressait était soigneusement évité. Mes maîtres m'ont expliqué dans le détail tous les "mécanismes" biochimiques à l'oeuvre dans la cellule, l' "atome de vie" et tous les "mécanismes" physiogiques qui animent ou désorganisent notre corps mais aucun ne m'a parlé de ce qu'est la vie elle-même (ou, en médecine de ce qu'est l'état de santé). Ils sont restés muets sur ce qui fait toute la différence entre la matière vivante et la matière physique (et en médecine, entre la santé et la maladie). Aujourd'hui encore, celui qui veut faire des recherches sur google scholar ou dans les index de la littérature scientifique sur le thème de la définition de la vie ne trouvera que quelques très rares articles qui lui expliqueront que c'est là une "quête impossible". Comme la vie est l'objet spécifique des sciences biologiques, il est aisé de comprendre le "malaise indéfinissable" qu'on crée dans les milieux savants quand on pose explicitement la question. C'est une question indécente, mal venue, non pas parce qu'elle n'est pas pertinente (c'est la plus pertinente de toutes en biologie) mais parce qu'elle met ceux qui se prennent pour des grands savants face à une faille majeure et peu avouable de leur science.

Ayant clairement compris ce problème, j'ai donc pris en main le problème tout seul, en utilisant tous les moyens possibles (orthodoxes comme parallèles) pour approcher au plus près la réponse à ma "quête impossible". Je n'ai pas, bien évidemment, résolu le mystère de la vie mais je pense avoir trouvé un moyen de créer, au niveau théorique, ce pont que je pense indispensable, entre la science physique et les sciences de la vie. Je pense avoir creusé un petit orifice dans la muraille théorique de la forteresse appelée la Science et montré que par cet orifice on pouvait entrevoir une terra incognita de la physique, une véritable intériorité à la matière. Et c'est cette intériorité, inexistante pour le physicien et le biologiste classique qui est la source de cette vie et cette conscience qui ont été, depuis la naissance de la Science moderne, exclues du champ d'intérêt de la physique.

Mon travail vise donc à apporter une pierre à ce projet d'intégration des sciences physiques et biologiques qui, en ce début de vingtième siècle, semble prendre, dans les milieux "parallèles" qui fleurissent sur internet un réel envol. De plus en plus de physiciens s'intéressent à la conscience et proposent, souvent au prix de leur marginalisation par la communauté scientifique, différentes théories pour expliquer l'interaction (généralement au niveau quantique) entre conscience et  matière. Aucune jusqu'ici n'a entraîné l'adhésion de leur communauté mais les marginaux deviennent à ce point nombreux qu'ils vont probablement faire basculer un jour ou l'autre, par leur masse critique, le "main stream" de la physique fondamentale. Par contre, peu de physiciens à ma connaissance s'intéressent aujourd'hui à la vie alors qu'il est évident que la conscience est une émergence plus tardive que la vie dans l'évolution de l'Univers et que jusqu'à nouvel ordre il n'existe pas dans "notre réalité" objective de conscience sans un organisme qui l'abrite. La biologie pourrait dès lors fournir une clé importante pour combler le fossé, aujourd'hui admis par tous, qui sépare la matière de la conscience.

Il y a certainement beaucoup de naiveté dans mon approche organiciste de la physique mais plus j'ai testé sa validité plus elle m'est apparue pertinente et potentiellement génératrice d'une langue commune permettant de rétablir la communication entre les ouvriers de cette véritable "tour de Babel" qu'est devenue l'entreprise scientifique. Il n'est peut-être pas inintéressant pour les physiciens de se rappeler, par le biais de mon approche naïve par exemple, que ce qu'ils prennent aujourd'hui pour des évidences bien établies a provoqué, au cours de l'histoire, des révolutions épistémologiques majeures que les sciences non physiques comme la biologie moléculaire ou cellulaire n'ont pas encore intégrées. Pour peu qu'ils acceptent de recycler leur compétence de constructeur d'édifices en "dur" et de chercheur de l'objet subatomique élémentaire (la matière) en artistes de la danse et de l'harmonie (vu l'état de mouvement incessant et organisé de cette "matière"), il y a du travail pour tout le monde. Je rêve en fait d'une physique qui mette la vie au coeur des ses péoccupations tout comme elle est au coeur de nos vies personnelles et parallèlement d'une biologie qui troque son interprétation mécaniciste de la cellule pour une approche dynamique. Les cellules sont des objets-sujets puisque leur comportement est manifestement finalisé. Mais n'en est-il pas de même des "objets" de la physqiue? C'est là en tout cas la thèse que je défends ici.

Concrètement parlant, ce n'est que si le physicien accepte de jouer le jeu de se mettre, le temps de la lecture d'un livre, dans les bottes du biologiste et d'adopter sa vision naivement mécaniciste de la cellule qu'il pourra comprendre l'intérêt général et fédérateur de la thèse que je propose et, pour sa spécialité, l'intérêt qu'il y a à entendre ce à quoi conduit une réflexion en profondeur (c'est à dire au niveau épistémologique) sur un système vivant qui est, comme ceux dont il s'occupe, un système dynamique et auto-organisé. Ici toutefois cet état de mouvement et cette organisation s'expriment au niveau macroscopique, c'est à dire à un niveau beaucoup plus directement accessible que les leurs (qui sont soit infiniment petits soit infinement grands). Ces systèmes physiques ne sont manifestement plus, quand ils sont vus sous l'optique des théories modernes, des systèmes dont on peut rendre compte dans le cadre des quatre dimensions classiques et du paradigme de la machine. Peut-être ma proposition de troquer ce cadre et le modèle évident qui le sous-tend pour un autre, d'inspiration biologique pourrait leur paraître plus adaptée et surtout leur donner un mode d'accès plus intuitif pour l'étude des systèmes qu'ils étudient. On sait en effet aujourd'hui de façon indubitable que ces systèmes autrefois appelés "inanimés" sont fondamentalement dynamiques et organisés, c'est à dire qu'ils présentent deux caractères totalement absents des billes de billard de notre physique classique mais étonnament proches des systèmes vivants.

L'approche organiciste que je propose est paradoxalement encore considérée aujourd'hui par les biologistes orthodoxes (lisez conformes à la pensée mécaniciste) comme hérétique. Ce n'est donc pas une biologie classique que je propose comme modèle aux physiciens.En réalité il n'existe pas encore de vraie sience de la vie puisque la biologie avoue son incapacté à définir la spécificité (pourtant évidente) de son objet. C'est en effet pour les biologistes, la "biologie moléculaire" qui, en l'absence de toute théorie de la vie, tient lieu aujourd'hui de biologie fondamentale. Ce n'est pourtant là qu'une scoience des biomolécules c'est à dire de systèmes qui ne peuvent pas encore être appelés vivants.