Entropie, auto-organisation et Information

L’entropie, l’auto-organisation et l’Information, trois arguments pour l’introduction d’une dimension non-objective dans les sciences de la Nature

Dr Jean Stevens (2012)

I- Introduction

Le seul cadre théorique qui semble encore aujourd’hui faire l’unité de la Science est celui des quatre dimensions objectives. Il laisse toutefois irrésolus des problèmes fondamentaux: en Physique l’unification des théories quantiques et relativistes, en Biologie la définition de la vie, en Psychologie la définition de la conscience et en Médecine la relation corps-esprit. Le cadre utilisé en biologie plus particulièrement, correspond au paradigme mécaniciste, un cadre obsolète pour la Physique. La Réalité y est réduite à ce qui est objectif, « jeté devant » nous. Il ampute donc cette Réalité de ce « nous », sujets humains, les réalités « jetées sous » notre apparence objective. Il exclut de ce fait ses attributs spécifiques, les qualités, les valeurs et ce qui donne sens à la quête même de la connaissance, notre finalité.

L’idée que la Réalité présente deux facettes, l’une du genre objet (res extensa) et l’autre du genre sujet (res cogitans) et deux modes d’accès correspondants (cfr infra) est activement défendue en Philosophie de l’esprit contemporaine1 sans toutefois que soit expliquée leur articulation. Pour intégrer cette idée à la Science, il faut, je pense, introduire une nouvelle dimension, non-objective, sur laquelle s’inscrivent les réalités « du genre sujet ». Trouver un nouveau paradigme implique donc un changement du cadre quadridimensionnel objectif.

I- Un nouveau paradigme

Contester les trois dimensions spatiales débouche sur un solipsisme stérile. Par contre, la dimension temporelle a été de tout temps l’objet de contestations (Parménide / Héraclite ; Newton / Leibnitz…) et aujourd’hui le problème resurgit en Physique théorique fondamentale par le biais de la disparition inattendue de la variable « t » dans les équations de la gravitation quantique1.

Le temps réel : Le temps-durée (Td) Newtonien n’est effectivement pas réel puisque le passé n’est plus et le futur n’est pas encore. Mais le temps (T), c’est aussi le temps présent (Tp), celui dans lequel nous vivons aussi réellement que dans l’espace. C’est parce que nous vivons dans ce temps présente que nous voyons le temps durée comme s’écoulant. Le passager dans la barque ne voit pas une rivière qui s’écoule tant qu’il n’est pas sur la berge. Or ce temps est éternellement présent c’est à dire étymologiquement, extérieur (e, ex) aux trois (ter) dimensions de l’espace. Il  représente l’aspect permanent de la réalité alors que le temps-durée, insaisissable, représente son aspect impermanent. Mais ce temps présent est aussi un temps opérateur (To), un générateur de mouvement puisque, selon la Physique moderne, la matière n’est pas faite d’objets intrinsèquement inertes mais de systèmes inextricablement spatio-dynamiques (particule-onde, masse-énergie). Newton avait qualifié le problème de l’origine du mouvement de métaphysique (Dieu est le primum movens). Or la Physique moderne nous apprend que l’état de mouvement est intrinsèque à la matière. Si la quatrième dimension est celle où s’inscrit le temps présent (Tp), elle est alors une dimension « active » et « éternelle » du cadre, ce qui est fort difficile à accepter pour nos esprits formés au cadre passif d’un espace et d’un temps absolus.

Le nouveau cadre : Le nouveau cadre remplace la dimension du temps-durée par une quatrième dimension a-spatiale, non-objective, et abstraite que je qualifie de « subjective » parce que c’est sur elle que s’inscrivent les réalités du genre sujet. Ces réalités, cet article le montre, existent aussi dans la matière strictement physique.

Comme la représentation visuelle d’une réalité quadridimensionnelle est impossible, j’utiliserai un artifice classique, sa réduction à un modèle tridimensionnel (sphérique) et la réduction des réalités objectives (3D) à un « plan objectif » (2D).

La dimension subjective apparaît ainsi comme un axe perpendiculaire à ce plan. Elle détermine un « espace » que je qualifie aussi de subjectif  ou de symbolique parce que la représentation des réalités «du genre sujet » est nécessairement symbolique. Et pour distinguer clairement celles-ci les éléments matériels objectifs, je les indexerai d’un astérisque.

Dans le plan objectif s’inscrivent les sens-direction (Sens-D) et dans l’espace subjectif les sens-signification (Sens-S), respectivement positif (SS+) - la prise de sens-S - et négatif (SS-) - la perte de sens-S.

Contrairement à ce que pensent beaucoup de scientifiques, la finalité n’a jamais pu être exclue du discours scientifique. Elle est au contraire omniprésente mais cachée sous la forme des principes physiques3. Le principe nous permet en effet de comprendre le comportement des parties en postulant une cohérence a priori du tout (causalité descendante). Il complète de la sorte la démarche réductionniste-causaliste officielle qui prétend expliquer le comportement du tout par les propriétés de ses parties (causalité ascendante). Mais la finalité qu’il s’agit de rétablir n’est pas celle, extrinsèque, rejetée par la Science, mais la finalité intrinsèque de Kant4, celle qui émerge dans les processus d’auto-organisations (cfr infra).

Dans ce nouveau cadre, les mouvements sont des mouvements complexes au sens des nombres complexes. Ils ont une composante objective (réelle) déterminée par les forces physiques (déterminisme causal) et une composante subjective (imaginaire) déterminée par des tendances globales (notées « Ђ ») (déterminisme final).

Les nouveaux éléments : Les réalités qui s’inscrivent dans ce nouveau cadre (atome, molécule, cellules, organismes, planètes…) sont appelées des systèmes naturels. Comme ils sont intrinsèquement dynamiques et naturellement cohérents (auto-organisés), ils sont plus des organismes (que je nomme « autorganismes») que des objets. Le biologiste les qualifierait même d’intrinsèquement sauvages. Le modèle évident qui nous aide à nous les représenter, n’est plus la machine artificielle mais notre propre organisme, réalité que nous percevons tous comme à la fois du genre objet et du genre sujet. Le nouveau cadre théorique est nommé, pour cette raison le paradigme organiciste et la nouvelle approche, l’interprétation organiciste.

Les systèmes naturels ou autorganismes peuvent être représentés sous la forme réduite (4Dà 3D) d’une sphère représentative enchâssée dans son plan environnemental propre. Et tout comme les systèmes dynamiques sont classiquement représentés par un point représentatif  n-dimensionnel (symbolique de l’état instantané du système) évoluant dans un espace des paramètres n-dimensionnel, on peut concevoir cette sphère représentative comme une version « explosée » de ce point sur le plan de la surface de la sphère et le centre de celle-ci comme une version généralisée aux systèmes n-dimensionnels, du centre attracteur du cycle limite 6 décrit pour les systèmes à deux paramètres.

La surface de cette sphère délimite deux espaces symboliques distincts. L’observateur (sujet) scientifique, se situe* toujours, par principe d’objectivité, dans l’espace extérieur* à la réalité qu’il observe et mesure. Il est représenté ici par un point, symbolique du point de vue objectif caractéristique du mode de connaissance scientifique. Ce mode de connaissance par assimilation objective (CAO), est l’équivalent du mode d’accès à la troisième personne de Chalmers6. L’observateur y assimile (et réduit) a priori les systèmes naturels à des réalités du genre objet. Au centre de l’espace intérieur* se situe un point* qui symbolise l’élément du genre sujet propre au système. Je le nomme le référent du système parce qu’il symbolise le référentiel subjectif, le témoin du point de vue intérieur*. C’est de ce point de vue seul qu’on peut voir la sphère représentative par sa facette interne*. Le référent propre la considère a priori comme organisée, finalisée et sensée-S puisqu’en quelque sorte il est la source de sa finalité et l’organisateur de son comportement sensé-S (cfr infra). Il voit par contre son plan environnemental propre comme a priori désorganisé et les mouvements qui l’agitent comme a priori dénués de Sens-S, aléatoires. La réalité extérieure, objective pour lui, est donc symboliquement plate*, dénuée de toute profondeur*. Le mode de connaissance utilisé ici est la connaissance par assimilation subjective (CAS), l’équivalent du mode d’accès à la première personne de Chalmers. C’est elle que nous utilisons quotidiennement dans nos rapports avec nos semblables ou nos animaux familiers, celle de l’approche psychologique du malade diamétralement opposée à l’approche objective de notre médecine par les preuves. Ici, l’observateur assimile a priori la réalité qu’il aborde à une réalité (comme lui) du genre sujet.

Alors que la CAO permet de mesurer des paramètres quantitatifs, la CAS permet d’évaluer des paramètres qualitatifs, des qualités, des valeurs. Mais cette évaluation est nécessairement relative au point de vue adopté, c’est à dire subjective.

La structure hiérarchique : Comme suggéré par la théorie systémique, les systèmes naturels ont entre eux non seulement des relations horizontales*, physiques, inscrites dans le plan objectif mais aussi des relations verticales*, hiérarchiques qui s’inscrivent dans la dimension subjective du super-système naturel, l’Univers. Cette hiérarchie peut être représentée de trois façons différentes. L’échelle de complexité compte de nombreux niveaux*, des particules subatomiques aux galaxies en passant par tous les systèmes physiques et biologiques. La hiérarchie concentrique décrit chaque sphère comme emboîtée dans une autre de niveau supérieur* (son super-système) et en contenant une autre de niveau inférieur* (son sous-système). Dans la hiérarchie enchâssée, chaque sphère est attachée par sa ligne équatoriale à un plan environnemental propre. Ce dernier correspond en fait à la surface (courbe) de la sphère de niveau supérieur*. Cette dernière représentation permet de comprendre la relativité de tout point de vue, y compris celui de la Science. Le point de vue scientifique privilégie inconsciemment celui du référent humain. Elle le prend pour absolu alors qu’il n’est qu’un point de vue subjectif partagé par tous les hommes en ce qui concerne la réalité extérieure. L’objectivité scientifique n’est qu’une intersubjectivité, consensuelle7 rendue possible du fait que nous partageons tous le même outil d’interprétation de la réalité.

Si donc nous, autorganismes humains, examinons des systèmes de même niveau* ou de niveau* inférieur* au nôtre, nous avons sur eux un point de vue « descendant* » (Top-Down*) alors que si nous explorons des systèmes de niveau supérieur* (biosphère, Cosmos), nous avons un point de vue « ascendant » (Bottom-Up). Extrapolée aux systèmes emboîtés de la biologie (moléculaires, macromoléculaires, métaboliques et physiologiques), nous pouvons saisir toute la relativité et toute l’ambiguïté de certains concepts (cfr infra) utilisés pour décrire cette réalité. Pour souligner clairement le statut ambigu de ces concepts dans le cadre du paradigme mécaniciste, je les appellerai des « concepts référentiels». Ces concepts ont une composante objective, valide pour une approche de l’extérieur* (CAO) et une composante subjective, valide seulement si on précise le référent du point de vue adopté (CAS).

Ce nouveau cadre permet de lever, allons-nous voir, l’ambiguïté de trois concepts centraux mais très polémiques de la Science.

III-L’Entropie

Le concept d’entropie (S) et le second principe sont, pour le biologiste, totalement contre-intuitif parce qu’ils décrivent une tendance (Ђ) spontanée et universelle (dS>0) diamétralement opposés à la tendance (Ђ) spécifique de la matière vivante, l’auto-reproduction des individus et l’évolution des espèces (dS<0). La Thermodynamique constitue la première contravention au paradigme mécaniciste 6. Au lieu d’examiner les mouvements simples de déplacement d’objets (intrinsèquement inertes) mus par des forces physiques extrinsèques et soumis au déterminisme causal des lois newtoniennes, elle examine les mouvements complexes de transformation de systèmes, mus par l’énergie et soumis au déterminisme final des principes physiques. Analysons ces nouveaux concepts.

- La transformation fondamentale en Thermodynamique est celle de la chaleur (Q), forme désorganisée de l’énergie, en travail (W), sa forme organisée. Or cette distinction est clairement référentielle  puisque le concept d’organisation est lui-même un concept référentiel (cfr infra) dont le référent implicite est ici le sujet humain.

- Le concept de système désignait initialement un ensemble d’objets. Il désigne aujourd’hui, en physique, des réalités inextricablement spatio-dynamiques voire même des objets mathématiques, c'est-à-dire des « objets abstraits ».

- Le concept d’énergie a progressivement pris la place les forces Newtoniennes. La matière-objet est en réalité de l’énergie-mouvement localisée et organisée, et la cause du mouvement est devenue intrinsèque. Les systèmes physiques sont des organismes spontanément animés.

- Les principes physiques qui règlent les transformations de cette énergie introduisent un déterminisme final inavoué dans le monde théoriquement causal du paradigme mécaniciste.

Le paradigme organiciste pose en Thermodynamique l’hypothèse que les mouvements de transformation sont des mouvements complexes. Leur composante objective n’est qu’une permutation, un déplacement compliqué des éléments dans l’espace objectif, tandis que leur composante subjective correspond à la variation d’entropie (dS), paramètre subjectif dont le référent implicite est le sujet humain. Cette hypothèse permet de résoudre le paradoxe classique de l’incompatibilité entre la réversibilité des équations de la Mécanique classique et quantique et l’irréversibilité des processus thermodynamiques. Dans ce nouveau cadre, la Mécanique décrit les mouvements dans le plan objectif (sens-D) et la Thermodynamique (via le processus entropique) un mouvement sur l’axe de la dimension subjective (sens-S relatif au référent humain).

Le second principe décrit, selon les manuels classiques, la « tendance spontanée du système  isolé à évoluer vers un état d’entropie maximale». L’analyse de cette phase nous révèle à la fois le caractère révolutionnaire de la Thermodynamique et tout l’intérêt d’une approche organiciste.

- Le mot tendance (Ђ) sous-entend l’action de deux « forces » opposées. Ces « forces » n’ont pas de nom en Physique alors qu’elles correspondent parfaitement aux deux sens-S possibles dans la dimension subjective, la prise (SS+) et la perte (SS-) de sens-S.

- Spontané signifie qui n’a pas de cause extérieure, c'est-à-dire antécédente. Cette spontanéité est (très heureusement pour l’Univers) contrecarrée par ce que F. Lambert8 appelle des obstructions au processus entropique (l’énergie d’activation en chimie, les puits d’énergie potentielle en physique atomique et les boucles de feed-back en biologie). Mais ces obstructions décrivent en fait la tendance (Ђ) à l’auto-organisation (cfr infra) de ces systèmes dynamiquement stables.

- Le système se définit relativement à son environnement, c'est-à-dire en définitive à l’Univers. Mais cette distinction système / environnement est nécessairement subjective. Le système physique ou chimique classique est défini par l’investigateur. Il est hétéro-référentiel. Le système naturel par contre se définit lui-même. Il est auto-référentiel.

- Le système isolé, idéal pour la science, est en fait irréel. Tous les systèmes naturels sont, du fait de leur caractère auto-organisé, inextricables de leur environnement (cfr infra). Leur désorganisation spontanée (dS>0) n’est que la conséquence de leur isolement. Les parties, libérées des contraintes dynamiques de l’environnement retrouvent leur sauvagerie intrinsèque. Dans l’optique organiciste, le second principe n’est plus un principe puisque la prétendue spontanéité entropique n’est que la conséquence logique de la sauvagerie intrinsèque des systèmes naturels libérée par l’isolement.

- l’état d’entropie maximale correspond à la mort thermique de l’Univers mais, dans l’optique organiciste, nous, autorganismes humains, n’avons qu’un point de vue « Bottom-Up », inadéquat pour juger de l’état d’organisation ou de désorganisation de l’Univers.

L’analyse des interprétations intuitives et formelles du concept d’entropie confirment la pertinence de l’approche organiciste. Le paramètre entropie (S) lui-même n’est pas mesurable. Seule sa variation (dS) l’est et seule sa variation positive (dS>0) est qualifiée de spontanée. Ce paramètre dS semble objectif  parce qu’il s’exprime en Joule/Kelvin mais en fait il est un sans dimension9. C’est donc un mouvement impossible à représenter dans le cadre classique de la Physique.

Parmi les interprétations intuitives, la première, traditionnelle, assimile l’entropie au désordre ou, mieux, à la désorganisation, la version dynamique du désordre. Or, le concept d’organisation est clairement un concept référentiel (cfr infra). La seconde, moderne,  l’assimile à un état de dispersion de l’énergie de mouvement10 mais il ne s’agit pas ici d’une dispersion dans l’espace mais d’une dispersion sur des « niveaux quantiques » dans un espace abstrait. La troisième l’assimile à la liberté de mouvement11, terme qui n’a de sens que dans un cadre où les systèmes élémentaires sont intrinsèquement sauvages.

L’analyse des différentes interprétations formelles aboutit au même résultat.

- En Thermodynamique macroscopique, dS = dQ/T. Pour nous expliquer intuitivement ce rapport, nos manuels utilisent l’image d’un cri (dS) poussé soit dans une bibliothèque universitaire (T basse), où le cri dérange, soit dans un hall de gare (T élevée) où il passe inaperçu. Ce rapport correspond donc à la valeur que prend le cri pour un sujet situé à l’intérieur du système, c'est-à-dire d’un point de vue opposé à celui de la Science. Quant à son interprétation objective elle n’est objective que parce que S est sans dimension et que la Thermodynamique assimile implicitement l’agitation thermique (Q et T), mouvement en tous sens-D, à un mouvement dénué de tout sens-S (désorganisé, dissipé, inutile …)

- En Thermodynamique microscopique, dS= kBlnW’. Ici, dS est fonction de W’, le nombre de micro-états équivalents accessibles au système. Mais équivalent ne signifie pas identique. L’approche statistique est une interprétation subjective car elle réduit la diversité de la réalité objective. C’est ici le référent macroscopique, le sujet humain, qui attribue une valeur identique à tous les micro-états. Un microbe ou une micelle (cfr infra) ne voient pas les choses de la même façon. Chaque micromouvement a un sens-D précis qui, pour eux, peut ou pas prendre un certain sens-S (cfr infra).

- En Thermodynamique du non-équilibre, dS = diS + deS5. Le terme diS, qui désigne la « production interne » d’entropie par le système, ne peut se concevoir que dans un monde dont les éléments sont intrinsèquement sauvages puisque cette production est toujours positive. Le terme deS, qui désigne l’échange d’entropie entre le système et son environnement est en réalité un dol parce qu’il est évalué sur base d’un paramètre dénué (pour la Science) de toute valeur, l’agitation thermique (Q et T). Quantitativement et vu de l’extérieur, le compte est exact mais qualitativement et vu de l’intérieur, il s’agit d’un échange de perles (l’organisation) contre des cailloux (l’agitation thermique).

IV : l’auto-organisation

Il n’existe pas à ce jour de théorie de l’auto-organistion. Bien plus, Ashby a démontré l’incompatibilité du concept de système auto-organisé avec celui de machine déterministe12, c'est-à-dire l’invalidité du paradigme mécaniciste.

Le concept d’auto-organisation est en réalité quadruplement ambigu.

- Le même terme auto-organisation désigne en fait deux phénomènes dynamiques distincts.

L’auto-organisation-état correspond, en termes organicistes, à une immobilité sur l’échelle de la complexité et en Thermodynamique à un état de mouvement « iso-entropique ».

L’auto-organisation-processus correspond à un mouvement d’ascension sur l’échelle de la complexité (SS+) mais il n’a pas d’équivalent en Thermodynamique. Le processus « néguentropique » n’existe pas pour cette science.

- Le concept d’organisation est référentiel. Sa composante objective correspond au concept de contrainte12. La contrainte est une réduction de la diversité et, dans un système dynamique, une réduction de la liberté de mouvement des parties. En termes organicistes, l’organisation correspond à une domestication de la sauvagerie des parties (cfr « enslaving » de Haken13). Un « Tout » auto-organisé (et tous les systèmes naturels le sont) n’est donc ni la même chose ni quelque chose de plus que la somme de ses parties (un vieux problème philosophique). Il est quelque chose de moins puisque les contraintes qui l’organisent réduisent la liberté de mouvement de ses parties. Sa composante subjective correspond au caractère utile de l’ensemble des contraintes. C’est là une qualité nécessairement relative à un référent précis.

- Le préfixe « auto » camoufle en réalité un élément du genre sujet au sein du système-objet. En effet, pour la machine, c’est le référent humain, sujet extérieur, qui lui donne sa finalité, son utilité et sons sens-S. Elle est donc une hétéro-organisation. Dans le système auto-organisé par contre, cette finalité paraît intrinsèque* à la matière. Quand nous parlons d’auto-organisation dans le cadre du paradigme mécaniciste, le préfixe « auto- » est donc le substitut du sujet concepteur, constructeur et utilisateur de la machine. Dans les systèmes naturels physiques, la finalité passe inaperçue parce qu’elle semble triviale. Elle fait tendre (Ђ) le système vers un état de stabilité dynamique, une immobilité apparente. Leur finalité est homéostatique. Par contre, dans le cas des organismes biologiques, elle est beaucoup plus noble. C’est la finalité reproductrice des individus et la finalité créatrice des espèces.

- Ce même préfixe « auto » sous-entend que l’organisation du système dépend uniquement des propriétés de ses éléments. Or, le système auto-organisé ne peut naître et survivre que s’il est dynamiquement intriqué à son environnement. L’isoler équivaut à sa mort, son auto-désorganisation spontanée. Aucun système naturel ne peut en effet être expliqué par les seules propriétés de ses éléments. 

Pour l’atome ou la molécule, il faut ajouter aux propriétés des électrons et des noyaux les principes de Hamilton et de Pauli (qui correspondent à des causes finales)3, et une théorie quantique « étrange » (qui a abandonné tous les principes mécanicistes). Le modèle atomique de Puthoff14 par contre, tout comme les théories de la décohérence15, sont particulièrement conformes à la philosophie organiciste parce qu’elles font intervenir activement l’environnement dans le processus d’auto-organisation.

Pour les structures dissipatives, leur survie dépend de l’entretient par l’environnement d’une importante distance à l’état d’équilibre.

Pour les supermolécules (micelles, protéines, membranes …), ce qui explique leur cohérence c’est l’effet hydrophobe, résultat de contraintes réciproques entre le système et son environnement (cfr supra).

Pour les systèmes biologiques finalement, la survie est, de toute évidence, intimement liée au caractère ouvert du système, à l’échange incessant de matière et d’énergie avec l’environnement.

L’auto-organisation est en fait une co-organisation.

V- L’information

Ce concept aujourd’hui indispensable en Science16 est en réalité référentiel. Sa facette objective, le signal physique (objet de laThéorie de l’Information) se mesure en bits, (0 / 1, pile / face). Sa facette subjective, sa signification (Sens-S), n’est valide que relativement à un référent précis. Ce qui explique l’inutilité de la théorie de Shannon en Biologie

- En biologie cellulaire toutes les biomolécules ont, par leur forme et leur concentration, une valeur informationnelle potentielle. La sphère représentative du réseau métabolique présente alors une facette externe*, objective, matérielle décrite en termes de flux métaboliques et une facette interne*, subjective, où s’inscrivent les relations informationnelles accessibles uniquement del’intérieur*.

- En physique quantique, dans le cadre du projet de l’ordinateur quantique, le bit classique est remplacé par le « qubit », habituellement représenté par une petite sphère16. Cette représentation est particulièrement conforme à l’approche organiciste moyennant une légère modification. Au lieu de positionner les valeurs « 0 » et « 1 » aux deux pôles de la sphère, il faut leur faire occuper respectivement les hémisphères nord et sud de la face externe de la sphère. Toutes les autres valeurs, déterminées par leur longitude (phase) et leur latitude (proportion de 0 et 1), doivent être inscrites sur sa face interne puisqu’elles sont inaccessibles de l’extérieur. Dans cette optique, la pièce de monnaie n’est que la version plate, objectivable, d’une information quantique profonde dont la dimension intérieure* est infiniment plus riche mais inaccessible à notre approche extérieure*.

VI- Conclusion :

Dès qu’on touche à l’Epistémologie, disait A.N. Whitehead17, on touche à la Métaphysique. En passant du paradigme mécaniste au paradigme organiciste on passe d’une vision laïque et détachée d’un Univers-machine à une approche plus participative ( J. Wheeler18) d’une Nature-organisme, celle que la Science pensait avoir détrônée au nom d’un déterminisme Laplacien qui n’est plus de mise.

L’élaboration du paradigme organiciste proposée ici a été motivée par la nécessité impérative de réintroduire en Médecine et en Biologie les causes finales, seules à même de rendre compte du caractère indécomposable19 du comportement du vivant. Le modèle sphérique en particulier a été élaboré pour représenter le comportement de la cellule procaryote, l’unité élémentaire de vie. Mais avant de proposer cette modélisation non-réductionniste, il était impératif de justifier la pertinence du nouveau cadre en Physique, puisque cette science est considérée jusqu’ici comme la plus fondamentale.

 

Bibliographie :

1- Bitbol, M. Physique et Philosophie de l’Esprit. Flammarion: Paris, France, 2.000,

2- Barbour, J.B.. The End of Time : the Next Revolution in our Understanding of the Universe. Weidenfeld and Nicholson, London, 1999.

3- Rovelli, C. Et si le Temps n’Existait pas ? Dunod, Paris, 2012

3- Ladrière, J. The Role of a notion of Finality in a philosophical Cosmology. In Commentaries in honor of P. Lecompte de Noüy, Shuster, G.N. Thorson, R.E. Eds.; University of Notre Dame Press, Notre Dame, Ind, USA, 1970, 71-107.

        4-Weber, A.; Varela, F. Life After Kant: Natural Purposes and the Autopoietic foundations of Biological                 Individuality. Phenomenology and the Cognitive sciences 2002, 1, 97-125

5- Prigogine, I.; Stengers, I. Order out of chaos: Man’s new dialog with Nature; Bantam books, New-York, NY, USA, 1998

6- Chalmers, D. The Conscious Mind : in Search for a Fundamental Theory. Oxford University Press: New-York, NY, USA, 1996.

        7-Intersubjectivité consensuelle

8- Lambert F : obstructions https://secondlaw.com/ ; https:// entropysite.com/ ; https://www.2ndlaw.com

9- Balian, R. From Microphysics to Macrophysics, Volume I, Springer-Verlag, Berlin, D, 1991.

10- Lambert, F. : dispersion https://secondlaw.com/ ; https:// entropysite.com/ ; https://www.2ndlaw.com

11- Bertrand, G.L. Mass, Energy and Freedom : the coins of Thermodynamics.  http:/web.umr.edu/ gbert/basic/entropy.htm

12- Ashby, W.R.  Principles of Self-organizing systems. In von Foerster, H, Zopf, G. W. Jr. Eds. Principles of Self-Organization: Transactions of the University of Illinois Symposium, Pergamon Press: London, UK, 1962; pp. 255-278.

13- Haken, H. Information and self-organization: A Macroscopic Approach to Complex Systems, Springer-Verlag, New-York, NY, USA, 2000.

14- Puthoff, H. Ground State of Hydrogen as a Zero-Point-Fluctuation-Determined State. Phys Rev, 1987, D35, 3266-3269.

        15- Omnès, R. Decoherence: An Irreversible Process. arXiv: quant-Ph 2001, 0106006v1

16- von Baeyer, H.C. Information, the New Language of Science; Harvard University Press: Cambridge, Mass, USA, 2003.

        17- Whitehead, A.N. Process and Reality. Macmillan New-York, NY, USA, 1929.

        18- Wheeler J: At Home in the Universe, 1994. American Institute of Physics 1995 reprint

        19- Merleau-Ponty, M. La Structure du Comportement. PUF: Paris, Fr, 1942.